INTRODUCTION AU CANTIQUE DES CANTIQUES (6)
Sans cette science divine, l’âme ne peut pas être considérée comme parfaitement chrétienne et si, à l’inverse, elle ne l’est pas de quelque manière, elle pourra difficilement comprendre le langage mystérieux de la Sagesse (1 Cor., 2, 6).
L'épouse mystique, dit Origène (Prologue in Cant.), est appelée parfaite. « En tant qu'épouse de l'Homme parfait, elle doit être parfaite, afin de recevoir les paroles d'une doctrine parfaite ».
Cependant, pour atteindre cette haute perfection, il faut qu'elle y soit préparée par degrés.
Ils se trompent, donc, ceux qui, au lieu de tirer profit de cette lecture sacrée, s’excusent de ne pas la faire au motif qu’ils la craignent ou sous le vain prétexte de ne pas s’exposer à des expressions ou à des termes qu’ils pourraient prendre en un mauvais sens.
Sainte Thérèse (Pensées sur l'amour de Dieu, c. I) (1), avait déjà vivement critiqué cette façon de voir en disant : « il vous semble qu’ils y a certaines (paroles) dans ces Cantiques qui pourraient être dites autrement (…) ; j’ai entendu certaines personnes dire qu’elles préféraient fuir que de les écouter. Mon Dieu, quelle grande misère est la nôtre (…) que nous profitions si peu de tant de bien que vous nous faites. Il n'y a point de moyens que vous n'employiez pour témoigner votre amour, et nous le reconnaissons si mal que nos pensées continuent toujours de se tourner vers la terre, au lieu de les porter à admirer les grands mystères qu'enferme ce langage du Saint-Esprit. Car qu’est-ce qui devrait être plus capable de nous enflammer de l’amour de Dieu que de penser que ce n'est pas sans raison qu'il nous parle de la sorte ?
Mais je connais (…) des personnes qui ont tiré tant d'avantages de ces saints discours, qu'ils les ont délivrées de leurs craintes, et portées à rendre des actions de grâces infinies à Dieu d'avoir bien voulu, par un remède si salutaire aux âmes qui l’aiment avec ardeur, leur faire connaître qu'il s'humilie pour elles jusqu'à les considérer comme ses épouses, sans quoi elles ne pourraient cesser de craindre.
Et j'en connais une en particulier qui, ayant passé plusieurs années dans ces appréhensions, ne se put rassurer que par certaines paroles de ce cantique, que Dieu permit qui lui furent dites, et qui lui firent connaître, qu'elle était en bon chemin. Ce que je comprends de tout cela, c’est qu'après qu'une âme, par son amour pour son saint époux, a renoncé véritablement à toutes les choses du monde et s’est abandonnée à sa conduite, elle éprouve ces peines, ces défaillances, ces espèces de mort, et en même temps ces plaisirs, ces joies et ces consolations dont j'ai parlé en d'autres écrits ».
Ainsi, peu importe que le réalisme grossier de notre époque soit devenu incapable, par sa faute, de saisir ces hauteurs sublimes du bel amour. Fort heureusement, les cœurs suffisamment purs ne manquent pas, aujourd’hui encore, bien plus nombreux qu’on ne le croit, pour percevoir, évidement plus ou moins bien, à travers ces similitudes et ces figures, les sublimes réalités qu’elles représentent. Sentant déjà les choses de l’esprit et ces beautés surnaturelles, elles avancent sur leurs traces jusqu’à parvenir, à la fin, à voir Dieu sur la montagne de Sion et à jouir du divin.
8. DIFFICULTÉS DES EXPRESSIONS CHOQUANTES
Il est vrai que l’on rencontre dans ce Cantique beaucoup de choses très difficiles à comprendre, bien des expressions déconcertantes ou cho-quantes à première vue, apparemment audacieuses et bien différentes de celles que l’on utilise habituellement. Certaines descriptions, d’un point de vue humain, peuvent être considérées comme bien trop réalistes. Pourtant, les âmes simples et spirituelles auxquelles les lectures profanes sont insup-portables, loin de concevoir des idées basses et grossières de la lecture du Cantique, sont enchantées et élevées par ses expressions comme aucun autre livre ne pourrait le faire, de sorte qu’elles trouvent en lui leurs délices les plus purs (2).
Ces âmes simples savent bien que, comme le dit sainte Thérèse, si ce livre mentionnent des choses matérielles, c’est comme si ces choses n’avaient pas de corps et qu’il s’agissait de purs esprits.
En effet, l’amour dont il est ici question est tout ce qu’il y a de plus spirituel et divin (et celui qui y voit autre n’est pas encore prêt à le lire et à le comprendre). Jamais, par conséquent, il ne viendrait à l’esprit de ces âmes de prendre ces choses au pied de la lettre. Bien au contraire, elles voient clairement qu’à travers les différents membres du corps, ce sont les conditions cachées de l'âme et les qualités uniques de l'époux et de l'épouse mystiques qui sont décrites. Elles comprennent, mieux que personne, la raison d’être de l’emploi de certains termes et comparaisons qui pourraient sembler très choquantes à d’autres personnes (3).
Il faut cependant préciser à ce sujet que de nombreuses chose qui, à première vue, nous semblent étranges et nous choquent, s’avèrent souvent très difficiles à comprendre. Ainsi de la comparaison faite entre les dents et les cheveux et les troupeaux de brebis et de chèvres. Rien ne nous semblerait probablement étrange si nous vivions parmi des bergers, et surtout en ces époques et circonstances, où le sens de ces expressions et d’autres encore, qui nous semble si obscur, devait paraître tout à fait clair.
Notes
(1) NdT : Cet ouvrage, incomplet, approuvé par le P. Dominique Bañez, O. P., est également connu sous le nom de Méditations sur les Cantiques, écrit par saint Thérèse de Jésus dans les années 1570, après qu’elle eut connu le Mariage spirituel (1572). La personne qu’elle dit connaître « en particulier » n’est autre qu’elle-même. On peut en trouver une traduction en ligne ICI.
(2) Même s’il est vrai que cet ouvrage n’est pas fait pour être mis sans discernement entre toutes les mains, il n’empêche, dit Fillon, « qu’il exhale, en ses moindres détails comme dans son ensemble, une pureté immaculée, une sainte gravité : il n’y a rien en lui qui ne soit digne de l’Esprit de Dieu. De tous temps, les âmes les plus chastes, les plus élevées, les plus saintes ont trouvé là leurs délices et s’en sont servi admirablement pour s’enflammer dans l’amour de Dieu ».
(3) « Observons bien de quelle manière admirable et miséricordieuse (Dieu) agit avec nous, pour nous rapprocher de l’étreinte de l’amour sacré, jusqu’à emprunter les turpitudes amoureuses de notre langage. Mais en se rendant humble par ce langage, il nous élève par l’intelligence » (s. Grégoire le Grand, Prof. In Cant.).
ARINTERIANA
Paris - France | 2024 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
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