DÉVELOPPEMENT ET VITALITÉ DE L'ÉGLISE (5)
En revanche, « heureux l'homme qui médite sur la sagesse et qui raisonne avec intelligence, qui réfléchit dans son cœur sur les voies de la sagesse et qui s'applique à ses secrets » (Eccles. 14, 20-21) (1).
Ce n’est qu’ainsi qu’on peut parler d’elle en toute propriété et vérité, en parlant de l’abondance du cœur et sur le fondement d’une vive connaissance expérimentale. Sinon, les paroles auront beau être vraies en elles-mêmes, elles seront froides et sans âme, comme de pures abstractions, et ne porteront que peu ou pas du tout à l’édification. D’où cette propension à se répandre en vaines curiosités, si fréquente chez les théologiens dissipés y discutailleurs, qui se soucient peu d’associer la piété ou la dévotion à la spéculation, comme s’il importait peu de sentir la profondeur de ce que l’on dit pour la faire sentir également aux autres, en l’exprimant convenablement, et comme s’il n’était pas préférable de sentir la componction que de savoir simplement la définir (2).
«Vive, efficace et pénétrante est la parole de Dieu» (Hébr. 4, 12). Ceux qui aiment plus à spéculer et à discuter d’elle qu’à en vivre, pour sentir vivement et faire sentir sa vertu, quoi qu’ils pensent, et quoi qu’ils disent, ceux-là ne la connaissent pas bien (3).
Ainsi, fût-ce inconsciemment, ils sont portés à réduire jusqu’aux doctrines les plus élevées à de simples formules rationnelles, totalement abstraites, liées par une logique de fer, pour former un corps, en apparence solide, mais sans plasticité et sans vie. Ils coupent ainsi les ailes du cœur. Ils étouffent les plus nobles aspirations de l’âme chrétienne. Celle-ci, à travers la lettre, veut aller droit à l’esprit, pour s’aller abreuver toujours à l’inépuisable source d’eau vive qui comble et donne la vie éternelle, c’est-à-dire à la Réalité ineffable qui doit palpiter sous nos mots, et en déborder, parce que les paroles humaines sont incapables de la contenir.
Si l’on donne trop d’importance à l’intellect sur l’esprit (1 Cor. 14, 15-20), et à la raison sur le cœur, c’est-à-dire à la froide spéculation sur la vie affective, alors on perturbe un équilibre vital. A trop vouloir préciser ce qui par nature transcende les catégories de nos concepts et définir avec rigueur l’indéfinissable et l’incompréhensible, on en vient à le défigurer et à l’abaisser, à le priver de ses enchantements naturels et à l’exposer au discrédit, dès lors qu’il n’est pas possible de faire apprécier ce que l’on n’a pas apprécié soi-même. Pour estimer et apprécier cette Réalité à sa juste valeur, il importe d’aller à elle de tout son cœur, de toute son âme, de toutes les énergies de son âme (Mathieu 12, 30). D’une certaine manière, davantage avec le cœur qu’avec l’intelligence, parce que c’est en lui qu’entrera la véritable illumination (4).
Celui qui ne ressent pas les ineffables enchantements de la doctrine révélée, qui la conçoit davantage comme un moyen d’illustration que comme un moyen d’édification, en donnera une image vieillie et pauvre comme les prismes humains au travers desquels il la regarde ou comme les systèmes caducs en lesquels il prétend la faire entrer de force. C’est ainsi que l’on parvient à en dégoûter les intelligences formées dans d’autres moules, ou à la rendre peu attractive à ceux qui, avec raison, désirent la regarder avec les yeux simples et purs d’un cœur chrétien. Ceux-là voudront être édifiés par des paroles de vie éternelle, et n’auront que faire de s’enfler d’une science de froides abstractions et de vains fantasmes qui n’offre à l’âme aucune réalité vivante et ne donne aucune véritable impulsion vers le bien. Telle est - comme la définit fort bien la Revue thomiste (janv. 1906, p. 747) - la théologie qui n’est étudiée que selon la raison, sans que le cœur y prenne part : une science de curiosité honteuse, ou de vanité honteuse, comme dirait saint Bernard (5).
Tout au contraire, si nous cultivons un sens vivant de la Vérité, nous vivrons de son esprit. Notre intelligence ne l’enfermera pas dans la matérialité et l’étroitesse de la lettre - dont on a dit, non sans raison, qu’elle tue : « littera occidit ». A travers le sens nécessairement analogique de nos pauvres expressions, nous percevrons en quelque manière l’infinie Réalité divine, laquelle, transcendant toutes les représentations possibles, ne peut jamais être épuisée ni exprimée adéquatement par aucune sorte de paroles ou de formules, parce qu’elle est ineffable (6).
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(1) « Si l’on trouve beaucoup de sages consommés en théologie mystique qui n’aient pas été versés dans la théologie spéculative, aucun théologien purement spéculatif n’est jamais parvenu à un tel sommet de perfection. Bien plus, il n’est pas même possible d’être parfait en théologie spéculative sans la mystique. il en est ainsi parce qu’il ne sera jamais légitime à personne de comprendre les paroles de l’Apôtre, ou d’un prophète, sans être pénétré de l’esprit de leurs écrits. Comment serait-il possible que quelqu’un sache exactement ce qu’est la liberté des enfants de Dieu, ou la douceur de l’amour divin, s’il n’a jamais pu l’expérimenter ? » (Cf. Fr. Bartolome des Martyrs, Comp. mysticæ doctr., c. 12, § 1).
(2) cf. Thomas a Kempis, L’imitation de Jésus-Christ, I, chap. 1.
(3) « On n’accède à la vérité que par la charité » (s. Augustin, Contra Faust. 1, 32 ; cf. Jean 8, 54-55 ; 1 Jean 2, 4 ; 4, 7-8 ; 5, 20.
(4) « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu » (Mathieu, 5, 8) ; « Puisse-t-il illuminer les yeux de votre cœur pour vous faire voir quelle espérance vous ouvre son appel, quels trésors de gloire renferme son héritage parmi les saints» (Ephésiens, 1, 18) ; « Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l'amour est de Dieu et que quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu » (1 Jean 4, 7) ; « La connaissance de Dieu est apportée par le feu de la charité » (cf. s. Thomas d’Aquin, in Ev. Joan. V, lect. 6).
(5) « Car il y en a qui veulent savoir, sans se proposer d'autre but que de savoir, c'est là une curiosité honteuse. Il y en a qui veulent savoir, afin qu'on sache qu'ils sont savants, c’est là une vanité honteuse (...). Il y en a qui veulent savoir pour vendre leur science, c'est-à-dire pour amasser du bien, ou obtenir des honneurs, et c'est un trafic honteux. Mais il y en a aussi qui veulent savoir pour édifier les autres, c'est la charité ; et il y en a qui veulent savoir pour s'édifier eux-mêmes, et c'est prudence » (s. Bernard, Sermon 36 sur le Cantique, n° 3, PL 183).
(6) Cf. Groot, o.p., Summa apologetica, 3e éd. Q. 19, a. 5, p. 782 ; A. Gardeil, o.p. Le donné révélé et la théologie, L. 2, I.
ARINTERIANA
Paris - France | 2024 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
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