DÉVELOPPEMENT ET VITALITÉ DE L'ÉGLISE (4)
Tel est le progrès essentiel. Le progrès accidentel consiste à modifier opportunément, en harmonie avec les circonstances, tout ce qui de soi est variable ou demande à être modifié selon les temps et les lieux, pour exploiter au mieux les différentes conditions d’existence. Ainsi, il faut s’adapter, autant qu’il est possible, à toutes sortes d’hommes, pour se faire tout à tous, afin de les gagner tous. Il faut prendre soigneusement en compte les nécessités particulières de chaque époque, de chaque pays, pour pouvoir y répondre, et il faut être capable à chacun en son propre langage, et selon sa mentalité, afin qu’il puisse nous comprendre et nous rencontrer. Notre négligence et notre incurie en ce domaine peuvent provoquer des contresens chez nos interlocuteurs qui les porteront à ne s’attacher qu’à de fausses doctrines, toujours plus éloignés de l’Église (1).
Parler ainsi selon une forme nouvelle ne signifie pas proférer des nouveautés aventureuses, selon le goût perverti de ce siècle – ainsi que le font les novateurs, parce que ce sont des mondains (2). – mais s’efforcer de mieux exprimer, de manière plus opportune, les mêmes vérités salvatrices, toujours nouvelles et toujours anciennes : « Non nova, sed nove ». Nous pouvons parfaitement, et même nous devons employer parfois un certain technicisme moderne, pour faire notre profit des véritables avancées et nous adapter davantage à la mentalité contemporaine, comme l’a fait saint Thomas en utilisant l’aristotélisme pour s’adapter à la culture de son époque et utiliser la propriété de nombreux termes bien élaborés afin de mieux exprimer et défendre la vérité catholique (3). Voici comment l’Apôtre décrit le docteur chrétien : « Attaché à l'enseignement sûr, conforme à la doctrine, capable, à la fois, d'exhorter dans la saine doctrine et de confondre les contradicteurs » (Tite, 1,9). Il faut cependant prendre garde, quand on use d’un langage moderne, qu’il ne tourne pas en moderniste, c'est-à-dire qu’il ne soit pas imprégné d’idées nouvelles qui ne soient pas saines, ces dernières s’infiltrant avec l’impropriété de ces expressions ambiguës ou suspectes que goûte tant la fausse science. Ce sont ces « discours creux et impies » que le même Apôtre commande d’éviter (1 Timothée 6,20) pour conserver pur le dépôt révélé, parce que, comme en avertit saint Thomas, citant saint Jérôme, « des formules inconsidérées font encourir le reproche d’hérésie » (4).
9.- Pour éviter ces excès et tant d’autres, je me suis efforcé d’unir aux spéculations abstraites de nombreuses réflexions propres à favoriser la piété et à stimuler la foi vive, en associant autant qu’il est possible la dogmatique à la mystique et en consacrant à cette question une grande partie de ce travail.
Les Pères n’ont pas procédé autrement, chez lesquels les réflexions inspirées par la piété et les spéculations dogmatiques sont étroitement liées. Il en est de même des grands fondateurs et des principaux représentants de la théologie scolastique. Si ces derniers ont été de si excellents théologiens c’est parce qu’ils n’étaient pas seulement de grands penseurs mais aussi de grands mystiques. Personne ne peut en effet être un théologien parfait s’il ne complète la science spéculative par cette sagesse mystique, plus expérimentale que théorique (5). Ceux qui l’abandonnent, en revanche, perdront le goût et le sens des choses de Dieu. Ils tomberont nécessairement dans de nombreuses et vaines subtilités, dans de sèches et stériles abstractions, sans chaleur et sans vie, causant fatigue et répugnance. Alors que ceux qui cultivent avec ferveur cette sagesse resplendiront par leurs bonnes œuvres. Même leurs paroles, imprégnées en quelque sorte de lumière et de vie, seront source de vie éternelle (Ecl. 24,61) pour ceux qu’elles attireront, captiveront et édifieront, de sorte que le Père céleste sera trouvera glorifié en tous (Mathieu 5,16) (6).
Si les docteurs scolastiques ont en général jugé opportun d’étudier séparément la dogmatique de la mystique, ils n’en ont pas moins consacré à cette dernière de précieux ouvrages, par lesquels ils ont donné vie à leurs travaux spéculatifs, pour favoriser la piété qui est utile à tout, y compris à mieux comprendre et à mieux exposer les vérités abstraites, et sans laquelle il n’est pas possible de posséder la véritable Sagesse (Sag. 1, 4-5 ; 6, 17-18 ; Prov. 1,7).
En effet, ce n’est pas en la dissolvant ou en la dissociant que l’on peut acquérir une connaissance pleine et exacte de la Sagesse de Dieu, c'est-à-dire du Christ-Jésus. Le Christ est, à la fois, chemin, vérité et vie, de sorte que ne peut pas le connaître réellement comme vérité celui qui ne le fréquente pas assidûment comme chemin pour sentir et expérimenter sa vertu comme vie (7).
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(1) « Bien qu’il ne soit guère facile de ramener à la raison une âme gagnée à l’erreur, cependant il n’est pas du tout impossible d’éviter l’erreur, quand on offre la vérité » (s. Irénée, Adv. Haer., II, 2 ; PG 7).
« L’une des causes qui ont le plus contribué au funeste développement du modernisme est l’isolement même dans lequel une grande partie du clergé se trouve par rapport au mouvement intellectuel (…). Quand les esprits tourmentés par le doute vont frapper à la porte du prêtre, qui parfois les traite avec dureté ou qui, pour le moins, ne les éclaire pas assez. Notre devoir était de les écouter, d’essayer de les comprendre et de travailler à les attirer. N’avons-nous pas été bien souvent coupables, par notre formation insuffisante, par notre connaissance incomplète des nécessités modernes, de les avoir éloignés de nous ? D’autres, qui ne manquent pourtant pas d’intelligence ni de bonne volonté, ont voulu bien des fois maintenir certaines positions intenables, rejeter a priori, sans examen, les conclusions d’une critique et d’un progrès légitimes (…). Sans aller jusqu’à tout concéder, ne serait-il pas raisonnable de considérer les choses avec plus d’attention, au lieu de les rejeter en bloc ? Très fréquemment encore, dans certains milieux aveuglément conservateurs, on anathématise, sans étudier ni comprendre, en recourant à des procédés peu charitables qui ne font qu’envenimer les plaies et accroître les déviations » (Cf. Études franciscaines, août 1907, - trad. ici de l’espagnol).
(2) « Eux, ils sont du monde ; c'est pourquoi ils parlent d'après le monde et le monde les écoute. » (1 Jean, 4,5).
(3) « Ce fut la nécessité de discuter avec les hérétiques qui contraignit de rechercher des mots nouveaux pour exprimer l’ancienne foi en Dieu » (s. Thomas d’Aquin, Somme de théologie, Ia, q. 29, a. 3, ad 1).
(4) Somme de théologie, Ia, q. 31, a. 2 ; Ia IIae q. 11, a. 2, ad 2 : « la confession est (...) un acte de foi. C'est pourquoi, s'il y a dans le domaine de la foi une manière de parler désordonnée, la corruption de la foi peut en découler ».
(5) « Tu ignores encore bien des choses pour n’être pas passé de la théologie spéculative à la théologie affective, de la science à la sagesse, théologie que l’on qualifie à raison de mystique, c'est-à-dire cachée, puisqu’elle est connue de très peu (…). Il s’agit de la connaissance expérimentale de Dieu (…). C’est pourquoi Gerson [dans son ouvrage de mystica theologia] soutient qu’il convient au plus haut degré que les théologiens scolastiques, même lorsqu’ils manquent de dévotion, lisent fréquemment des ouvrages de théologie mystique. Cette lecture engendre l’amour et fait naître un certain désir d’expérimenter et de connaître ces idées (…) parce que la Parole de Dieu est un feu qui brûle. S’ils parviennent par ce chemin à la contemplation, alors ils pourront pleinement recevoir le nom de théologiens tout à fait consommés, ainsi que le furent, comme nous le savons, saint Thomas, saint Bonaventure et tous les autres dont nous conservons avec fierté le souvenir » (Fr. Bartolomé des Martyrs, Comp. Mysticæ doctr., c. 26).
(6) « Car la connaissance de Dieu qui s’obtient par les autre sciences illumine l’intelligence seulement, en montrant que Dieu est la cause première, qu’Il est un et sage etc. Mais la connaissance de Dieu qui s’obtient par la foi illumine l’intelligence et charme l’âme, parce qu’elle dit que, non seulement Dieu est la cause première, mais qu’Il est notre sauveur, notre rédempteur, qu’il nous aime et qu’il s’est incarné pour nous; toutes ces vérités enflamment l’âme. Il faut donc dire que par nous Dieu répand en tous lieux pour celui qui croit le parfum de sa connaissance, c’est-à-dire la connaissance de sa suavité (…) (Cf. s.Thomas d’Aquin, in 2 Cor. 2,14).
(7) S. Augustin, Soliloques, c. 4, 5, 17.
ARINTERIANA
Paris - France | 2024 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
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