LA VIE MYSTIQUE DE SAINTE THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS (7)
Dès ces premières années, nous pouvons la voir, non seulement élevée, par son innocence, au-dessus des deux premières « demeures » — qui conviennent aux âmes désillusionnées du monde — mais plongée en plein dans la troisième, où l'on embrasse les pratiques de la dévotion, où l'on en goûte les joies, observant l'ordre en tout.
On la sent même entrée dans la quatrième « demeure » (de l'oraison vraiment surnaturelle), lorsqu'elle cherche à se cacher en quelque coin pour penser au Bon Dieu... Et Dieu la maintient en cet état, parfois dans un regard unique et amoureux, ou complètement absorbée en Lui, par conséquent dans une douce quiétude mystique... au moins dans un vrai recueillement infus (1).
Elle le dit elle-même : Je comprends aujourd'hui que je faisais alors une vraie oraison (infuse) dans laquelle le divin Maître instruisait doucement mon cœur. »
Nous avons vu comment, lors de sa première Communion, elle arriva non seulement aux doux enivrements de l'amour que comporte l'oraison de quiétude, mais jusqu'aux défaillances ou liquéfaction de l'union intime (2).
Elle sortait ensuite de cet état avec une faim dévorante de recevoir tous les jours ce pain de vie et avec une charité si bien réglée et si vive, avec de telles « langueurs d'amour » qu'elle désirait être réconfortée et nourrie par des sacrifices et des actes de vertus héroïques. « Jésus seul désormais pouvait me contenter, et je ne soupirais qu'après le moment bienheureux où je Le recevrais une seconde fois... Mon cœur s'enflamma d'un vif désir de la souffrance, avec la certitude intime qu'il m'était réservé un grand nombre de croix. Alors, mon âme fut inondée de telles consolations que je n'en ai point eu de pareilles en toute ma vie. La souffrance devint mon attrait, je lui trouvais des charmes qui me ravirent, sans toutefois les bien connaître encore » (Vie, chap. IV).
Plus loin, elle ajoute que le jour de sa confirmation, elle sentit seulement « la brise légère » par laquelle Dieu se montra à Elle. À l'âge de 13 ans, elle reçut une grâce vraiment infuse, qui la fortifia et la fit triompher de son excessive sensibilité. Ce fut la nuit de Noël 1886 : « En cette nuit lumineuse commença donc la troisième période de ma vie, la plus belle de toutes, la plus remplie des grâces du Ciel. En un instant, l'ouvrage que je n'avais pu faire pendant plusieurs années, Jésus l'accomplit, se contentant de ma bonne volonté. Comme les apôtres, je pouvais dire : Seigneur, j'ai pêché toute la nuit sans rien prendre. Plus miséricordieux encore pour moi qu'il ne le fut pour ses disciples, Jésus prit lui-même le filet, le jeta et le retira plein de poissons ; il fit de moi un pêcheur d'âmes... La charité entra dans mon cœur avec le besoin de m'oublier toujours, et depuis lors, je fus heureuse. »
La paix et la joie que Thérèse ressentit devant Notre-Dame des Victoires sont encore des preuves évidentes de son oraison de quiétude. De même, l'absorption ou recueillement dans lesquels elle se trouvait quelquefois.
« II m'arriva, écrit-elle, pendant mon noviciat, de rester une semaine entière bien loin de ce monde ; je ne puis exprimer cela, j'agissais, me semblait-il, avec un corps d'emprunt ; il y avait comme un voile jeté pour moi sur toutes les choses de la terre. »
Vers la fin de sa vie, une novice, pénétrant dans sa cellule, la trouva cousant avec activité et, malgré cela, perdue dans une contemplation profonde.
« À quoi pensez-vous, lui demanda la jeune Sœur ? — Je médite le Pater, répondit Thérèse, c'est si doux d'appeler le Bon Dieu notre Père ! » Et des larmes brillaient dans ses yeux.
« Je ne vois pas bien ce que j'aurai de plus au Ciel que maintenant, disait-elle, une autre fois ; je verrai le Bon Dieu, c'est vrai, mais pour être avec Lui, j'y suis déjà tout à fait sur la terre. »
Notre tâche serait trop longue si nous voulions parcourir et citer toutes les pages de son autobiographie, pour prouver que la “Petite Thérèse” fut réellement mystique, son oraison vraiment surnaturelle ou infuse. Nous en avons dit assez, et plus qu'il ne faut. Ses œuvres, d'ailleurs, sont, de cette oraison, la preuve la plus convaincante. Grâce à la vive flamme d'amour qui la consumait, elles furent telles, que les plus petites comme les plus héroïques eurent le don de charmer et captiver le Cœur divin.
N'avait-elle pas écrit, commentant ce verset du cantique : « Tu as blessé mon cœur avec un de tes cheveux » : « En disant qu'un cheveu peut opérer ce prodige, Jésus nous montre que les plus petites actions faites par amour, sont celles qui charment son Cœur... ». « L'âme la plus fervente est la plus fidèle à faire tout par amour. »
Bientôt, elle parvint à de telles hauteurs qu'elle put dire en vérité : « Ma vie, c'est Jésus-Christ... Ce n'est plus moi qui vis, mais Jésus-Christ qui vit en moi. » Voilà pourquoi toute sa manière d'agir était si ravissante et si divine, sa conversation toujours dans le Ciel, son oraison continuelle.
Réconfortée par cette incessante contemplation, l'union à Dieu de Thérèse, nous apparaît pourtant, non pas fruitive et joyeuse, mais purgative et douloureuse. C'est dans la nuit ténébreuse en laquelle elle fut submergée, que son âme se purifia de plus en plus et s'identifia plus parfaitement à son Divin Modèle. À son exemple, et unie à Lui, elle expiait pour tous ceux qui oublient d'expier leurs propres péchés ; elle se sacrifiait en particulier, comme victime d'amour, pour les ministres du Seigneur.
« Dieu m'a fait voir combien il m'a aimée, disait-elle, afin qu'à mon tour je l'aime à la folie. »
Et, dans ses peines, elle jouissait d'une grande paix
« Mon âme a connu bien des genres d'épreuves, j'ai beaucoup souffert ici-bas ! Dans mon enfance, je souffrais avec tristesse, aujourd'hui c'est dans la paix et la joie que je savoure tous les fruits amers... Ah ! si le martyre que je souffre depuis un an apparaissait aux regards, quel étonnement !
Mais, « j'en suis venue à ne plus pouvoir souffrir, parce que toute souffrance m'est douce. »
Comment s'y prenait donc Thérèse, pour garder ainsi, au plus fort de ses peines intérieures, cette paix qui surpasse tout sentiment ? Écoutons-la, et nous verrons que tout fut simple en elle, dans la souffrance comme dans la joie.
« Quand je ne sens rien » explique-t-elle, que je suis dans la sécheresse, incapable de prier, de pratiquer la vertu, je cherche de petites occasions, des riens pour faire plaisir à mon Jésus : par exemple, un sourire, une parole aimable, alors que je voudrais me taire et montrer de l'ennui. Si je n'ai pas d'occasion, je veux au moins lui répéter souvent que je l'aime, ce n'est pas difficile et cela entretient le feu dans mon cœur. Quand même il me semblerait éteint, ce feu d'amour, je jetterais encore de petites pailles sur la cendre et je suis sûre qu'il se rallumerait. »
« Il est vrai que je ne suis pas toujours fidèle, mais je ne me décourage jamais. »
Cet amour, fort comme la mort, resta donc le plus souvent caché à ses yeux, la privant de toute consolation. Mais, par ce moyen douloureux, plus que par de sublimes extases, elle atteignit les sommets et arriva certainement jusqu'aux blessures d'amour qui préparent à “l'union transformante” des mystiques fiançailles et du mariage spirituel.
__________
(1) « Le recueillement infus » consiste en ce que l'âme est éclairée soudain d'une certaine lumière surnaturelle qui lui découvre comme un nouveau monde intérieur plein de charmes où le Seigneur l'appelle pour parler à son cœur. Elle se sent alors obligée à fermer les yeux et à fuir le bruit extérieur, et elle reçoit l'intelligence de beaucoup de choses spirituelles qu'auparavant elle ne pouvait pas comprendre. Dans la « quiétude », le Seigneur commence à captiver la volonté, à se l'unir et fait en sorte que l'âme trouve en Lui le repos désiré et goûte la douceur divine.
(2) Dans « l'union », Dieu prend possession de toutes les puissances et se laisse sentir non plus de près, comme auparavant, mais au plus profond de l'âme comme vivificateur et comme Maître absolu. Il la captive toujours davantage et la fait vivre de plus en plus d'une façon divine. Lorsque l'union comprend la perte ou captivité des sens et des mouvements extérieurs elle s'appelle « extatique ». Quand elle pénètre jusqu'au plus profond de l'être, le transforme et le défie tout entier elle se nomme « union transformante ».
ARINTERIANA
Paris - France | 2024 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
« Vous qui êtes ici, dites un Pater à mon profit.
Pour moi ferez beaucoup et vous n’y perdrez mie. »
INFORMATIONS DIVERSES