LA VIE MYSTIQUE DE SAINTE THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS (6)
EXCELLENCE DE LA CONTEMPLATION ET IMPORTANCE DE L'ACTION
LA MYSTIQUE ET L'ASCÉTIQUE
La possession de l'âme par Dieu, la libre communication de sa grâce et de ses dons, voilà justement ce qui fait l'excellence de la vie mystique et de la contemplation infuse, laquelle n'est autre qu'un rayon de la Divinité venant investir l'âme et y produire des effets variés, plus ou moins visibles. Chez Thérèse, l'effet le plus sensible fut la blessure ou dard d'amour qu'elle sentit en faisant le Chemin de la Croix. Si, d'ordinaire et dans la suite, il n'eut rien d'aussi éclatant, l'état mystique n'en demeura pas moins réel et l'on peut dire que rien ne manque à cette âme en fait de grâces mystiques essentiellement sanctifiantes. Il semble qu'en elle ce fut l'union simple et l'amour douloureux qui dominèrent comme en une victime d'amour qu'elle était.
Donc, quand elle dit que tout est ordinaire dans sa vie, nous croyons qu'elle veut dire : tout y est normal, accessible à tous... N'importe quel baptisé, s'il est fidèle à la grâce et aux dons du Saint-Esprit, s'il reconnaît son néant et espère tout de son Père Céleste, s'il agit toujours comme un vrai fils de Dieu, s'il fait tout ce qui dépend de lui pour répondre aux motions intimes de l'Esprit consolateur, nous disons qu'il sera aussitôt possédé par Lui. Et comme, dans ce travail continu, incessant, perpétuel, réside la grandiose activité et la vie ascétique-mystique de la petite Sainte de Lisieux, nous répétons que les âmes qui imiteront sa constante fidélité à l'Esprit d'amour arriveront, comme elle, aux sommets de la sainteté et au faîte de la montagne de l'amour.
Mais il faut redire également, pour que personne ne s'y méprenne, que cette vie d'amour n'a rien d'un quiétisme indolent.
L'état mystique n'exclut pas, comme quelques-uns se le figurent, la véritable et féconde activité de l'âme ; il la perfectionne et l'ennoblit en lui donnant un aspect divin : aguntur, ut agant [les âmes sont mues à agir, pour qu'elles agissent]. Les mystiques ne sont pas mus par Dieu et possédés par Lui pour rester oisifs, mais pour seconder docilement cette motion divine et participer à la vertu même du Tout-Puissant. Dieu donne cette grâce de la contemplation à tous ceux qui, après avoir fait tout ce qui dépend d'eux, se considèrent comme des « serviteurs inutiles » et mettent toute leur confiance en Lui. Nous ne voulons donc rien enlever à la vie ascétique ni à la prodigieuse activité de l'âme de sainte Thérèse, qui ne pouvait consentir à rester inactive, même au Ciel. « Non, je ne pourrai prendre aucun repos jusqu'à la fin du monde ; mais lorsque l'ange aura dit : Le temps n'est plus, alors je me reposerai, je pourrai jouir, parce que le nombre des élus sera complet ».
Pendant sa vie mortelle, cette activité se manifestait par le renoncement continuel, par ces fleurs des petits sacrifices jetées à Jésus pour l'Église el pour les âmes. On la vit, les armes à la main, lutter avec le courage d'un croisé, depuis l'âge de trois ans jusqu'à son dernier soupir. Mais ce n'est pas sur ses bonnes œuvres ou sur ses désirs actuels qu'elle s'appuie pour atteindre la plénitude de l'amour. Elle ne compte que sur Dieu.
Lui parle-t-on d'acquérir des mérites, elle répond : « Oui, mais pas pour moi, pour les âmes, pour les besoins de toute l'Église, enfin pour jeter des roses à tout le monde, justes et pécheurs ». Et elle écrit dans son acte d'offrande : « Au soir de cette vie, je paraîtrai devant Vous les mains vides ; car je ne vous demande pas, Seigneur, de compter mes œuvres. Toutes nos justices ont des taches à vos yeux. Je veux donc me revêtir de votre propre justice, et recevoir de votre amour la possession éternelle de vous-même. Je ne veux point d'autre trône et d'autre couronne que vous, ô mon Bien-Aimé ! À vos yeux, le temps n'est rien : un seul jour est comme mille ans. Vous pouvez donc en un instant me préparer à paraître devant vous. »
Thérèse explique très bien, d'ailleurs, la part de l'âme et la part de Dieu dans ce travail de sanctification.
Une novice qui a lu cette parole de l'Ecclésiastique : « La miséricorde fera à chacun sa place selon le mérite de ses œuvres... », vient questionner sa jeune maîtresse : « Pourquoi est-il dit, “selon le mérite de ses œuvres”, puisque saint Paul parle d'être justifié gratuitement par la grâce ? » Alors, la servante de Dieu réplique énergiquement que si l'espérance, poussée jusqu'aux dernières limites, est composée d'abandon et de confiance en Dieu, son aliment n'est autre que le sacrifice. Et elle développe ainsi sa pensée :
« Il faut faire tout ce qui est en soi, donner sans compter, se renoncer constamment, en un mot, prouver son amour par toutes les bonnes œuvres en notre pouvoir. Mais, à la vérité, comme tout cela est peu de chose, il est urgent de mettre sa confiance en Celui qui sanctifie les œuvres et se croire des serviteurs inutiles — espérant que le Bon Dieu nous donnera par grâce, tout ce que nous désirons » (Esprit de la Sainte).
Le même ouvrage ajoute : « II est à remarquer que la Sainte eut à lutter pour “se renoncer constamment”, et qu'elle eut besoin de courage pour défendre en elle-même la cause de Dieu contre les attaques des penchants contraires. Ces luttes, ces oppositions se retrouvent dans la vie de tous les Saints. Elle voulait qu'on le dise et qu'on le mette en lumière, pour la consolation et l'encouragement des “petites âmes” que déconcertent les tendances de la nature mauvaise ».
Les degrés d'oraison de Thérèse
On a pu voir clairement, tout au long de ces pages, que l'oraison de Thérèse ne fut pas l'une de celles qui peuvent s'enseigner dans l'ascétisme : c'en fut une autre, que le Bon Dieu lui-même met dans le cœur (Rom. 8,26) pour le faire éclater en saints transports, ce fut, comme le disait la Sainte, une chose élevée et surnaturelle, par conséquent, une vraie contemplation infuse ou mystique.
« Pour moi, écrit-elle (Vie, chap. X), la prière est un élan du cœur, c'est un simple regard jeté vers le Ciel, c'est un cri de reconnaissance et d'amour, au milieu de l'épreuve comme au sein de la joie. Enfin, c'est quelque chose d'élevé, de surnaturel, qui dilate l'âme et l'unit à Dieu. »
II ne nous est pas facile de distinguer les degrés d'oraison que la “Petite Sainte” parcourut, car, sur ce point, elle ne se livre pas même à des allusions. Dans ses écrits, nous voyons qu'elle parle des œuvres de saint Jean de la Croix, jamais de celles de sainte Thérèse d’Avila. Elle ne pouvait les ignorer, cependant, et ne pas avoir savouré longuement ce pain de famille. Nous sommes donc certains qu'elle médita et le Chemin de la Perfection et le célèbre Château de l'Âme, mais trop petite et trop simple, elle n'eut pas même l'idée d'y rapporter son oraison, encore moins de l'y classer.
« Je dis tout simplement au Bon Dieu ce que je veux dire, déclarait-elle, et toujours il me comprend. »
D'ailleurs, Thérèse fut une Sainte très originale, très personnelle... un modèle pour tout dire. Hormis Jésus, son Maître, qu'elle s'efforça toujours de reproduire, elle ne copia personne, pas même sa Mère, la grande mystique d'Avila. Dieu lui ouvrait une voie nouvelle... elle y marcha, sans se retourner pour voir où d'autres avaient passé, assurée qu'elle était, par Notre-Seigneur lui-même, d'avoir pris le plus court chemin de l'union divine :
« Celui qui se fait petit comme cet enfant sera le plus grand dans le Royaume des Cieux (Matthieu, 18-4). »
Elle traversa donc les divers degrés de la vie mystique sans le savoir, du moins sans s'y arrêter.
Essayons de le faire pour elle et toujours à la lumière de son autobiographie.
Nous croyons, avec le Père Gabriel de Sainte-Madeleine, que « l'oraison de Thérèse fut le plus souvent passive, même durant les années qu'elle vécut dans le monde ».
ARINTERIANA
Paris - France | 2024 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
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