INTRODUCTION AU CANTIQUE DES CANTIQUES (2)
Pour nous convaincre de ce qu’il n’est ni convenable ni possible de rattacher ce texte à aucune noce humaine, il suffirait d’observer avec attention les changements, apparem-ment très arbitraires, de caractère et de condition de ces incomparables époux. Ils sont représentés aussi bien comme des rois que comme des jardiniers, et plus ordinairement comme de simples bergers, utilisant des expressions très familières à ces derniers, mais tout à fait inappropriées pour des rois. On ne voit pas comment la fille de Pharaon ni aucune autre épouse du grand monarque d’Israël aurait pu se retrouver, perdue, à marcher à sa recherche, de nuit dans les rues, dans les « cabanes des bergers, ses compagnons », comme une très modeste bergère, ou brunie à force de marcher au soleil pour « garder les vignes ».
Bien évidemment, les bergers ou les laboureurs prient. ils peuvent néanmoins difficilement être comparés à des rois, avec le faste et l’opulence qui sont les leurs.
Par ailleurs, bien des choses ne conviennent pas plus aux rois qu’aux bergers, non plus qu’à personne d’ailleurs en un sens littéral. Si on ne les prenait pas en un sens métaphorique, elles seraient trop grossières ou ridicules pour être mises dans la bouche d’un auteur inspiré (1) dont les paroles, d’une certaine manière véritablement divines, sont toujours ordonnées, en elles-mêmes, à notre édification (2 Tim., 3,16). Ainsi, par exemple, la description très détaillée du corps entier, ou des différents membres, avec les attributs qui leur sont donnés, ou les choses auxquelles ils sont comparés, semblerait même scandaleuse si elle ne représentait pas directement les bonnes qualités de l’âme, de même que la mention d’un grand nombre de plantes et de fleurs doit représenter, et représente, la belle variété et la bonne odeur des vertus.
Il n’y a donc aucune raison de rechercher dans la lettre autre chose que ce qui est purement nécessaire pour fonder la métaphore et voir ce que celle-ci signifie. Il n’est pas nécessaire de s’attacher à des détails auxquels ne s’étendent jamais la similitude ou l’analogie. Il faut au contraire élever son cœur et ses pensées vers les hauteurs sublimes qui sont ici figurées, plutôt que de s’attacher à une matérialité qui n’est pas de nature à édifier et à élever le cœur. Peut-être cette remarque de l’Apôtre est-elle plus vrai ici qu’en n’importe quel autre domaine : la lettre tue ; l’esprit vivifie (2 Cor., 3,6) (2).
2. SUR LA DIVISION DU CANTIQUE
En outre, la division du Cantique par Bossuet en sept jours, correspondant aux sept jours que duraient autrefois chez les Hébreux les fêtes de mariage, est trop arbitraire et elle a peu de fondement dans le fil du récit. Celui-ci, si on lui applique ces jours supposés, est parfois interrompu là où l’on s’y attend le moins. Voilà pourquoi cette division a généralement été rejetée.
On pourrait en dire quasiment de même de la division que d'autres introduisent en faisant du Cantique une sorte de drame en cinq actes : I.° I, 1—II, 7 ; 2° II, 8-III, 5 ; 3e III, 6—V, 1 : 4e V, 2-VIII, 4 : 5e VIII, 5-16. En effet, même si la fin du 1er, du 2e et du 4e sont indiqués par la formule d’exhortation à laisser dormir l’Épouse, et celle du 3e par une autre semblable (V, 1), ces mystérieux rêves ne peuvent avoir aucune valeur particulière dans un drame humain, alors, comme nous le verrons, qu’ils en ont une, très importante, pour marquer les grandes phases de la vie mystique.
Littéralement, si l’on considère le Cantique comme un drame pastoral, c'est en vain que l’on y cherchera une unité de plan, de lieu des scènes décrites ou un objectif déterminé, ou encore la surprise d’un dénouement, la vivacité d’un dialogue, etc. Plus qu'un poème unique, il semble constitué de fragments isolés de divers poèmes, sans autre lien que celui que peut leur donner l’identité des personnages, bien que ceux-ci changent de condition à chaque pas.
3. UNE IDYLLE MYSTIQUE
En revanche, si l’on prend le Cantique comme une idylle mystique, c'est-à-dire en son haut sens métaphorique et spirituel, le seul que la tradition lui reconnaisse, alors on découvre en lui un plan grandiose, qui correspond aux progrès de l'âme dans la vie de l’esprit. Les parties qui, à première vue, semblaient sans lien, apparaissent comme de très belles descriptions des principaux états successifs de cette vie. Ceux-ci sont présentés de manière continue, et en définitive sur une courte période, alors qu’en réalité ils s’étendent sur de très longues périodes, de mois, d’années. Les différentes parties du Cantique ne peuvent donc pas être qualifiés d’actes ou de scènes, mais plutôt de chants divers, qui forment, comme le dit Meignan, « une idylle dans laquelle évoluent deux personnages (principaux), un cantique dialogué ».
4. LES PHASES DE LA VIE MYSTIQUE
Les principales phases ou sections sont séparées ou marquées, comme nous l’avons dit, par les rêves mystiques de l’Épouse que l’Époux ordonne de garder (2, 7 ; 3, 5 ; 8, 4) et dont elle s’éveillent en en tirant de grands bienfaits. En rigueur de termes, la première de ces phases correspond aux commençants et la dernière aux parfaits. Tout le reste correspond à la phase très étendue qui concerne ceux qui sont plus ou moins avancés dans la voie des progressants, lesquels, à la fin, à partir du second rêve, et surtout à partir du second appel de l’Aimé (cap. V, 2) pourront être regardés comme des quasi-parfaits, voire comme de véritables parfaits, selon l’opinion de Fr. Luis de León (3). À plus forte raison devront-ils être considérés comme tels à partir du troisième et dernier abandon que l’âme fait de soi au Seigneur, en ratifiant pour toujours ses promesses d’être fidèle par ces paroles : moi, pour mon Aimé.
Notes
(1) « Les choses ici rapportées ne sont dites ni de Salomon (…) ni des bergers (…) mais des amours mutuelles du Christ et de l’Église (…) » ( Fr. L. León, chap. 2, v. 10. Cf. saint Thomas, in Cant. 8, 1). « Le livre tout entier, dit saint Augustin (Spec. de Script. S.), est dit des pures amours du Christ et de l’Église ». « Cela doit être répété souvent, dit Soto Mayor (Cant. Interpret., c. 6), car cette œuvre du Cantique des Cantiques n'est rien d'autre qu'un dialogue ou une sorte de conversation amoureuse entre Dieu et l'âme, ou entre Dieu et l'Église, qui est établi dans l’âme des hommes ».
(2) « Voilà le sens, ou plutôt le jeu de la lettre. Et pourquoi ne l'appellerais-je pas un jeu, puisqu’il n'y a rien de sérieux dans cette explication littérale ? Ce qui en parait au dehors ne mérite pas seulement d’être entendu, si le Saint-Esprit aide au-dedans la faiblesse de notre intelligence. Ne nous arrêtons donc pas au dehors, de peur, ce qu’à Dieu ne plaise, qu’il ne semble que nous voulions parler d’amours impurs et déshonnêtes. Apportez des oreilles chastes à ce discours d’amour ; et lorsque vous pensez à ces deux amants, ne vous représentez pas un homme et une femme, mais le Verbe et l’âme, ou bien Jésus-Christ et l’Église, qui est la même chose, si ce n'est que ce nom d’Église ne marque pas une âme seule, mais l’unité ou plutôt l’union de plusieurs âmes » (s. Bernard, in Cant., sermon 61).
(3) Il soutient, en effet, dans son commentaire latin (in cap. I), que ce livre décrit les degrés de l’amour que chaque âme pieuse peut, si elle le veut, parcourir avec ordre, depuis le premier jusqu’au dernier, et que les trois grandes sections de la vie spirituelle sont séparées par les mots : Vox dilecti du chapitre 2 et du chapitre 5.
ARINTERIANA
Paris - France | 2024 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
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