INTRODUCTION AU CANTIQUE DES CANTIQUES (3)
Saint Ambroise avertissait en effet déjà que ces trois abandons de l’Épouse mystique (II, 16 ; VI, 2 ; VII, 10) « doivent correspondre à ses trois états successifs : le premier impliquant son entrée et sa formation dans la vertu, le second dans ses progrès en elle, et le troisième dans sa pleine perfection (De Isaac, et anima, c. 8). Dans le premier, qui est celui de l’enfance spirituelle, elle ne voit les choses surnaturelles qu’au milieu des ombres ; dans le deuxième, elle perçoit déjà le parfum de l’Aimé, lui apparaissant au milieu des lis ; dans le troisième, déjà affermie dans la vertu, elle offre au Verbe divin un lieu de repos dans son propre cœur, en sorte qu’Il est toujours tourné vers elle, la regardant avec la plus grande complaisance. Et ainsi, dans la plus grande confiance, il peut l’inviter à sortir en sa compagnie dans la campagne ».
C’est ainsi que cette très belle idylle est appelée à tourner, exprimée par une série de chants correspondants aux différentes sections ou phases de la vie mystique.
Nous pouvons dès lors dire, avec saint Jean de la Croix, que « l’ordre suivi par ces Chants commence depuis le moment où une âme commence à servir Dieu jusqu’à ce qu’elle parvienne à l’état ultime de la perfection, qui est le mariage spirituel ; ainsi, en elle, se réalisent les trois états ou voies par lesquels passe l’âme (…). Le premier concerne les commençants, auquel correspond la vie purgative. Celui des plus avancés correspond aux progressants, où se réalisent les fiançailles spirituelles, et c’est la voie illuminative. Puis ceux qui suivent traitent de la vie unitive, qui est celle des parfaits, où se réalise le mariage spirituel » (1).
Compte tenu des trois séparations ainsi mentionnées, et de la longueurtrès importante de la phase des progressants, nous jugeons préférable de considérer que le divin Cantique est divisé en quatre parties : 1° la première concerne les commençants, c'est-à-dire les âmes qui commencent à marcher sur les traces du Seigneur ; 2° les progressants, c'est-à-dire ceux qui le suivent déjà si véritablement qu’ils vivent déjà dans une certaine familiarité ou une certaine union avec lui ; 3° ceux qui sont déjà très avancés et quasi-parfaits, chez lesquels le Seigneur vit et règne par une union de fiançailles intimes ; 4° les parfaits, qui sont déjà transformés et unis à Lui par le mariage spirituel. Même parmi ceux-ci, il serait possible d’identifier une nouvelle phase de perfection, consommée, autant qu’il est possible en cette vie, et qui serait inaugurée par le troisième rêve (8, 3-4).
Certains, non sans raison, pensent pouvoir distinguer jusqu’à six chants différents, correspondant à autant de phase progressives (2).
Quoi qu’il en soit, on découvre ainsi un ordre merveilleux qui, d’un point de vue purement humain, serait impossible à voir ou même à soupçonner.
Ce poème ressemble à un drame grec dans l’introduction du choeur, qui interrompt le dialogue et lui donne un plus grand charme et une saveur spéciale, un lyrisme religieux, très élevé, qui domine toute pensée basse ou terrestre qui pourrait se présenter à l’esprit.
Ce chœur est composé tantôt par les amies, les compagnes ou les émules de l’Épouse, et tantôt peu-être par les amis de l’Époux.
5. ÉPOUX ET ÉPOUSES
Cet Époux admirable n’est autre que le Verbe incarné, qui s’est précisément fait homme pour nous déifier, en célébrant avec nos pauvres âmes une noce éternelle - après les avoir gagnées, attirées, purifiées, embellies, enrichies et… déifiées au prix de tant de peines. Il peut fort bien apparaître dans tous les états successifs qui sont ici décrits. Soit comme bon Pasteur, qui connaît ses brebis, les appelle par leur nom, fait en sorte qu’elles le suivent, pour les conduire vers de très abondants pâturages, en leur donnant rien moins que la vie éternelle (Jn, X, 9, 11, 14, 27, 28). Soit comme roi puissant, qui nous invite à régner avec Lui, assis sur son propre trône, si nous l’accompagnons dans nos travaux et nos luttes (Lc, 22, 29 ; Apoc., 3, 21). Soit comme cultivateur, qui possède une grande vigne et envoie ses ouvriers pour la cultiver ou la prendre à bail (Mt. 9, 38 ; 20-21). Soit même comme la vigne véritable (Jn, 15,1), qui produit le vin très précieux qui engendre des vierges ((Zach. 9, 17).
A plus forte raison, les âmes que le Verbe incarné se plaît à prendre pour épouses pourront connaître toutes ces conditions. Toutes, unies, seront son unique Épouse la sainte Église, vierge chaste et digne d’être présentée au Christ (2 Cor., 11,2).
C’est elle, ordinairement, qui est l’Épouse par excellence, bien qu’elle puisse être aussi, de manière très singulière, la très Sainte Vierge qui apparut devant Lui toujours « ren-contrant la paix », toujours pure, « belle comme la lune, resplendissante comme le soleil et forte comme une armée rangée en bataille ». Elle est ainsi le prototype de l’Église elle-même et son résumé.
Cependant, ce titre d’Épouse n’en appartient pas moins à toutes les âmes justes qui, selon leur fidélité à la grâce, sont purifiées et embellies jusqu’à devenir dignes d’être présentées devant le Christ-Époux, comme de petites églises, « sans taches ni rides », comme des « jardins clos » où Il peut trouver ses délices, parce qu’il les trouve à demeurer parmi les fils des hommes (Prov. 8, 31) (3).
Et parce que l’Époux veut demeurer dans toutes les âmes, aucune n’est exclue de ses invitations amoureuses ; les portes de ses communications intimes ne sont fermées par avance à personne. Ainsi, il « donne le pouvoir de devenir de véritables enfants de Dieu », et, par conséquent, ses frères et ses amis intimes, à tous ceux qui le désirent sincèrement et dont les âmes, en définitive, peuvent devenir ses fidèles épouses (2).
Notes
(1) Cantique spirituel, Argumento. Selon l’édition critique du manuscrit de Jaén par Burgos. Madrid, 1924.
(2) Fillion, Introd. au Cantique.
(3) « L'Époux, c'est notre Dieu, et si j'ose dire, c'est nous qui sommes l'Épouse, avec le reste des captifs qu'il connaît » (s. Bernard, in Cant., Sermon 68).
(4) « Toute âme, si chargée de vices soit-elle, enveloppée de péchés, comme de filets, charmée par les attraits de la volupté, captive dans son exil, enfermée dans son corps comme dans une prison, enfoncée dans la boue, plongée dans la fange, attachée à ses membres, accablée de soins, absorbée par les affaires, saisie de crainte, pressée de douleurs, dévoyée par l'erreur, rongée d'ennuis, inquiétée de soupçon, et enfin étrangère sur la terre de ses ennemis (Bar. III, 11), comme parle le prophète, souillée avec les morts, réputée du nombre de ceux qui sont dans l'enfer, toute âme, dis-je, ainsi damnée et désespérée, peut trouver dans elle-même, non seulement de quoi respirer dans l'espérance du pardon, et de la miséricorde, mais encore de quoi oser aspirer aux noces célestes du Verbe » (s. Bernard, in Cant., Sermon 83).
« “Retournez à moi, et moi je vous recevrai (Jer. III, 1)”. Ce sont les paroles du Seigneur. Il n'est pas permis de douter de leur vérité. Qu'ils croient ce qu'ils n'ont pas encore éprouvé, afin que, par le mérite de leur foi, ils soient dignes un jour d'en avoir l’expérience » (s. Bernard, in Cant., sermon 84).
ARINTERIANA
Paris - France | 2024 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
« Vous qui êtes ici, dites un Pater à mon profit.
Pour moi ferez beaucoup et vous n’y perdrez mie. »
INFORMATIONS DIVERSES