LA SINGULIÈRE IMPORTANCE DE L'EUCHARISTIE (1)
Depuis quasiment 50 ans la sainte Eglise est soumise à une grave crise qui affecte sa crédibilité. Cette crise atteint spécialement, depuis l'origine et aujourd'hui encore, l'Eucharistie. Pourtant, ainsi que le rappelait saint Jean Paul II, « l'Eglise vit de l'Eucharistie » (Encycl. Ecclesia de Eucharistia, 17 avril 2003), laquelle est au centre de son processus de croissance. C'est donc cette vie qui est ainsi atteinte. Ceci explique les multiformes blessures qui ont frappé et frappent encore à la fois le sacerdoce lui-même, dans son recrutement comme dans le comportement ou la prédication de certains de ceux qui l'exercent, ainsi que, par voie de conséquence, la foi des fidèles eux-mêmes.
Il est ainsi singulièrement important, de restaurer en nous la vérité intégrale de ce saint sacrement, en lui « donnant toute l'importance qu'il mérite et en veillant avec une grande attention à n'en atténuer aucune dimension ni aucune exigence », selon les termes du même pontife, puisqu'il s'agit là du « résumé de tout le mystère de notre salut » (loc. cit.). C'est à cette fin que nous traduisons ici ce très beau texte du P. Arintero, qui souligne, en particulier, la nécessité absolue de conjuguer réception de ce sacrement et vie spirituelle réelle et profonde. Il est tiré de La evolución mística, BAC, Madrid, 1968, pp. 291 ss.
Par l’eucharistie, sacrement des sacrements, nous nous alimentons de Jésus-Christ, nous croissons en Lui, nous vivons de sa vie même, et nous nous unissons à Lui au point de devenir un avec Lui et de demeurer ainsi transformés en Lui.
Pour croître comme des fils de Dieu, un aliment divin nous est nécessaire. Absolument parlant, n’était notre faiblesse native, cet aliment pourrait consister simplement à faire la volonté du Père, pour compléter son œuvre (Jn 4,34). Mais nous sommes tellement faibles et réticents à l’accomplir que nous devons corriger notre faiblesse et réparer nos manquements en nous revêtant physiquement de la force du Verbe. C’est ce que nous faisons en mangeant sa chair et en buvant son sang, sans lesquels nous ne pouvons conserver la vie (Jn 6. 54) (1). Avec cet aliment divin, nous devenons si vigoureux que nous pouvons accéder jusqu’à la montagne sainte de Dieu et vivre éternellement. En recevant son corps, nous recevons aussi son sang, son âme, sa Divinité même, en somme tout Jésus-Christ, tel qu’il est, et il s’unit ainsi et s’incorpore à nous. Plus exactement, il nous unit et nous incorpore à lui, nous assimilant et nous transformant complètement. « Nous mangeons et buvons le Dieu et Homme véritable, disait saint Ephrem, et nous demeurons absorbés en Lui pour vivre de Lui : C’est toi, Seigneur, que nous mangeons, toi que nous buvons, non pour te consommer, mais pour être consommés en toi ».
Ainsi, en tant qu’aliment de l’âme, l’Eucharistie suppose la vie spirituelle : les morts ne mangent pas. Un aliment qui serait ingéré par eux, loin de les vivifier, accélérerait leur corruption. C’est ce qui se passe pour celui qui ose communier alors qu’il est en état de péché : il mange son jugement. Toutefois, s’il le fait de bonne foi, en se croyant en état de grâce et en éprouvant une douleur sincère de toutes ses fautes, alors ce sacrement d’amour, ne rencontrant pas l’obstacle de l’attachement au péché, tournera l’attrition en contrition, il causera un véritable amour filial et, avec lui, la vie. De sorte qu’étant de soi destiné à augmenter la grâce, ce sacrement peut aussi, par accident, la produire. Qu’elle soit un sacrement de vie, ordonné directement à la conserver et à l’augmenter, c’est ce qu’indique son institution elle-même. Elle y apparaît comme un pain vivant descendu du ciel pour donner la vie éternelle (Jn 6. 48-58). Le Sauveur y insiste tellement qu’il ne se lasse pas de répéter cette idée capitale, comme étant la plus propre à exprimer ce sacrement. Si les autres peuvent aussi maintenir et accroître la grâce, c’est en quelque sorte indirectement, alors que l’Eucharistie a pour objet premier d’augmenter notre vie et de promouvoir notre progrès intime. Il en est ainsi parce que « la chair de Jésus-Christ, ainsi que le dit saint Cyrille (Contra nest., L. 4), n’est pas seulement vivante, elle est vivifiante ». Elle est source de vie et, dans cette mesure, en nous unissant matériellement à elle, nous pouvons recevoir les torrents de sa plénitude (2). C’est là « que nous puiserons avec joie des eaux aux sources du salut » (Is. 12.3).
A mesure que la vie de la grâce grandit, la charité et l’union à Dieu augmentent, et les liens qui nous attachent à notre divin Chef et aux autres membres du Corps mystique dans l’unité de l’Esprit deviennent plus étroits. Étant donné que les sacrements réalisent ce qu’ils signifient et que l’Eucharistie, offerte sous forme d’aliment, symbolise l’union des fidèles, elle la produit de manière analogue, quoiqu’en ordre inverse, à celle de l’aliment ordinaire, qui est converti en notre propre substance. Qui mange ma chair et boit mon sang, dit le Seigneur, demeure en Moi et Moi en lui (Jn 6, 57). Le signe qu’un homme mange en vérité le corps du Seigneur, observe saint Augustin (in Ioan. Tr. 27, n. 1. ), est qu’il habite et demeure dans le Christ, et le Christ en lui : « Si manet et manetur ; si habitet et inhabitatur ». Si l’union et l’inhabitation corporelle est transitoire, l’inhabitation spirituelle à laquelle elle est ordonnée doit être perpétuelle. Jésus, dit Bossuet, vient à nos corps pour s’unir à nos âmes (Sermon 1 Nat. S. V.). Ce qu’il recherche avant tout, ce sont les cœurs, et lorsque ceux-ci ne se livrent pas pleinement, ils lui font violence - la violence opposée au corps et au sang, disait saint Cyprien (L. De lapsis), et l’obligent à contenir le fleuve impétueux de grâces dont il veut les inonder.
Ce sacrement est l’œuvre de ce prodigieux amour par lequel Jésus nous a aimés jusqu’au bout et par lequel il a attiré à Soi toutes choses pour les diviniser (3). Car l’amour, ainsi que le relève saint Denys, est essentiellement unitif (De div. nom., c. 4). C’est pourquoi, lors du sermon de la Cène, le Seigneur a demandé et réclamé avec une telle insistance la parfaite union des fidèles entre eux et avec Lui (Jn 17, 10-23).
Saint Paul le rappelle très bien lorsqu’il dit que nous sommes tous un même corps, nous qui participons d’un même pain (1 Cor., 10, 16-17). C’est pourquoi le concile de Trente a manifesté son amour de l’Eucharistie, « emblème de l’union du Corps mystique, signe de l’unité, lien de charité et symbole de paix et de concorde » (session 13, c. 8) (4). ⇢
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(1) « Le Verbe, disait Clément d’Alexandrie (Pedagog., L. 1, c. 6) est tout pour l’enfant qu’il a engendré : il est père, mère, précepteur, et nourrice. Mangez ma chair, dit-il, et buvez mon sang. Le Seigneur nous offre cet aliment adapté à notre condition, de telle sorte que rien ne nous manque pour grandir... Lui seul dispense à ses enfants le lait de l’amour. Mille fois bienheureux celui qui s’alimente à ces mamelles divines ».
(2) « Si tous les sacrements - dit le P. Weiss (Apol. 10 conf. 16) - sont sources de grâce, le plus sublime de tous est, à n’en pas douter, celui qui contient l’auteur et le dispensateur de la grâce elle-même. Par ce sacrement, nous devenons un seul corps avec Lui (Cyril. Jer. Cat. 22, 3 ; Crysost. Hebr. Hom. 6, 2). Par cette communication si intime, Il circule en nos coeurs comme un torrent de feu, non pour s’épuiser, mais pour nous attirer à Lui et non transformer en Lui (Gertr., Leg. div. piet. 3, 26). Parce que nous ne changeons pas cet aliment en nous, comme il arrive à l’ordinaire, c’est Lui qui nous change en Lui-même ».
(3) « En devenant homme et en prenant sa place dans la création, le Verbe de Dieu, dit Hettinger (Apol., conf. 32), a glorifié et déifié toutes les créatures (...). En l’homme, la matière a été élevée à la vie de l’Esprit ; et dans le Christ, toute la création a été élevée à la vie de Dieu et l’humanité est placée sur le trône divin. Ce qui s’est opéré en la Tête par l’Incarnation doit se continuer, se compléter et s’étendre, par le banquet sacré, à tous les membres du Corps en un cercle toujours plus vaste, afin que tous reviennent à Dieu par ce Médiateur et soit un avec Lui et jouissent de sa gloire. Il était déjà uni à la nature humaine d’une manière très intime, comme seuls sa sagesse était capable de l’inventer, son amour de le désirer et sa toute-puissance de l’accomplir. A présent, il s’unit à chaque membre de l’humanité d’une manière si parfaite dans le mystère de l’Eucharistie, que Lui seul pouvait concevoir l’idée d’une semblable union. Cette union, cette pénétration mutuelle, cette fusion de l’homme avec Jésus-Christ, est si intime, si ineffable, qu’elle ne peut être comparée qu’à l’union du Père Éternel avec son Fils unique, selon le témoignage su Seigneur lui-même (...). Pa l’Incarnation, il a élevé vers Dieu tout le genre humain ; par le banquet sacré, il a pris possession individuellement de chaque homme pour le transporter au sein de Dieu ».
(4) « Le Très Saint Sacrement est le lieu divino-humain, visible et invisible, qui unit tous les membres de l’Église avec Jésus-Christ et entre eux : il est, dans le Corps de l’Église, le cœur qui donne son impulsion à la vie surnaturelle et fait circuler les vagues de salut parmi tous les membres » (Hettinger, l. c.).
ARINTERIANA
Paris - France | 2024 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
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Pour moi ferez beaucoup et vous n’y perdrez mie. »
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