LES DEGRÉS DE L'AMOUR, LA PERFECTION ET LA MYSTIQUE
Ce texte est l'introduction de l'ouvrage intitulé Las escalas de amor, y la verdadera perfección cristiana, Ed. Fides, Salamanca 1926.
Il est incontestable que la véritable perfection de la vie spirituelle, à laquelle tous les fidèles chrétiens que nous sommes sont appelés, est dans l’intime union à Dieu, en qui est notre fin ultime. Cette union, ce sont les trois vertus théologales qui la causent, et très principalement la charité, laquelle est le véritable trait d’union et le lien de la perfection. Ainsi, plus la charité d’une personne est grande, plus elle est unie à Dieu, et plus elle est parfaite. Sur ce point, tous les théologiens et les maîtres spirituels sont d’accord. Cela ne prête donc à aucune discussion. Dès lors, celui qui possède une charité parfaite mérite indiscutablement le nom de chrétien parfait.
La question demeure cependant de savoir si cette charité parfaite peut être obtenue d’une manière simplement humaine, caractéristique de l’ascétique, par la pratique de la vertu, quoiqu’avec l’aide de la grâce, activement et comme par notre initiative ; ou bien si elle requiert nécessairement un manière d’agir surhumaine, propre aux dons du Saint-Esprit, et caractéristique de la vie mystique, dans laquelle l’âme se trouve dans un état plus ou moins passif, comme possédée par Dieu, et en agissant ordinairement non pas par initiative propre, mais sous l’inspiration, la motion et la direction de l’Esprit divin.
Certains, désormais peu nombreux, considèrent que cette modalité, si elle est convenable et avantageuse, n’est pas nécessaire. Selon eux, un simple ascète peut parvenir - quoiqu’avec beaucoup de labeur mais, par le fait même, davantage de mérite - à un degré d’amour et par conséquent de perfection comparable, et même éventuellement supérieur à celui des grands mystiques qui paraissent divinement embrasés des flammes du vif amour...
D’autres, plus modérés, déclarent que la mystique est, en effet, très désirable et très convenable, et que tous feront bien d’y aspirer mais que, pourtant, certains, quoi qu’ils fassent pour s’y disposer, ne pourront jamais l’obtenir. Par conséquent, ils devront en définitive se contenter de la vie ascétique. Et par celle-ci, au moins par une providence extraordinaire, aidés de grâces spéciales compensant l’œuvre des dons, ils pourront parvenir à un haut degré d’amour, quoiqu’inférieur à celui des grands mystiques, mais suffisant pour qu’ils puissent être déclarés parfaits et pour être même reconnus comme tels en un procès de béatification ou de canonisation.
Selon eux, la mystique ne peut être dite nécessaire à la perfection et à la sainteté que moralement, selon la providence ordinaire, mais non pas absolument, parce qu’il arrive que cette perfection et cette sainteté - fût-ce de manière miraculeuse - puissent être obtenues sans elle.
Parmi ceux qui disent de telles choses, nombreux sont ceux qui s’accordent en grande partie avec ce que nous disons nous-mêmes, au moins d’un point de vue pratique. En effet, sous ce rapport, il est vrai qu’il faille procéder selon ce que requiert une nécessité morale ou la providence ordinaire, sans recourir à des moyens extraordinaires ou miraculeux. Néanmoins, si l’on s’en tient à la possibilité théorique d’un saint, ou d’un parfait chrétien - même religieux ou prêtre - qui ne serait pas un mystique, ils seront facilement conduits à se dispenser ou à dispenser les autres, dans certaines purifications, de certains moyens indispensables pour... se dispose convenablement à la vie mystique, parce qu’ils ne les croient pas vraiment nécessaires à la perfection et à la sainteté, alors qu’ils le sont.
Comme il s’agit là d’un mal très grand que l’on ne saurait exagérer, nous croyons de notre devoir de tenter d’y remédier, selon nos propres forces, en exposant avec la plus grande clarté possible la véritable doctrine traditionnelle, telle qu’elle apparaît chez les grands maîtres spirituels, chez lesquels il ne sera pas facile de trouver aucune description ni aucun indice de saints, qui ne soient pas clairement possédés et mus par l’Esprit-Saint, ou de chrétiens parfaits qui ne le soient pas en toutes sortes de vertus, et très spécialement dans l’esprit de prière, qui leur permet de nourrir une conversation habituelle dans les cieux. Tous les maîtres enseignent que cette prière parfaite et propre aux parfaits, est la prière mystique, c'est-à-dire la contemplation divine.
C’est dans cette dernière que le don de sagesse entraîne la charité dans des ivresses d’amour. Il est impossible que celui-ci soit parfait et que, par le fait même, il produise une parfaire union à Dieu sans qu’interviennent en lui les dons du Saint-Esprit et sans que l’âme, par le fait même, soit bien introduite dans les demeures mystiques où le Sauveur lui-même a promis solennellement aux amants parfaits de se manifester à eux (Jn. 14,22). Comme on peut le constater, l’élément mystique est très clairement présent dans toutes les échelles de l’amour qui ont été écrites, et cela non pas seulement à leur degré ultime - qui est le plus propre à l’état parfait - mais à quasiment tous leurs degrés. Etant donné que l’amour véritable réalise de grandes choses là où il se trouve, comme le disait saint Grégoire, chacun est bien obligé, pour identifier un degré digne de ce nom, de reconnaître en lui quelque chose d’infus, de « surnaturel », de passif ou... de mystique.
Cela apparaît très clairement chez saint Jean de la Croix, qui n’hésite pas à identifier son échelle de l’amour à celle de contemplation infuse elle-même, qui est la seule qu’il connaisse. Ainsi, dès le premier degré, il nous place pleinement dans la mystique, en indiquant explicitement qu’il le fait en accord avec saint Bernard et saint Thomas.
A l’occasion du deuxième centenaire de sa canonisation, nous voudrions - en son honneur, pour la gloire de Dieu et le bien des âmes - mettre en relief ce point très intéressant de sa doctrine, qui a malheureusement était fort obscurci par les regrettables altérations apportées aux oeuvres de saint Jean de la Croix et par l’effort obstiné de quelques-uns à lui attribuer ce qu’il n’a jamais pensé et à quoi il n’a jamais songé. Il ne suffit donc pas, pour connaître exactement sa pensée, de présenter tel ou tel passage isolé qui, après avoir pu être écrit un peu vite et s’en trouver obscur, comme il peut arriver chez n’importe quel auteur en des matières encore peu clarifiées, et qui peut faire partie d’un de ces nombreux passages qui n’ont pas été fidèlement conservés. Il est donc indispensable d’avoir égard à l’ensemble de sa doctrine, à ce qu’elle implique et à ce saint Jean de la Croix dit avec insistance. C’est pourquoi il nous faudra citer de nombreux textes de cet auteur, et tirés des lieux les plus sûrs.
Afin que la vérité objective puisse apparaître dans toute sa splendeur, sans voiles ni prismes susceptibles de l’obscurcir ou de la défigurer, nous nous efforcerons de parler en notre nom le moins possible. Nous laisserons en général parler entièrement les documents de la tradition, les textes des grands maîtres spirituels, de sorte qu’ils disent tout eux-mêmes de manière irréfutable, nous bornant parfois à souligner certaines phrases ou certains mots, ou à attirer entre parenthèses l’attention sur certains passages plus importants ou plus décisifs.
Nous commencerons par saint Jean de la Croix lui-même, et cela qui les lira sans prévention pourra très clairement voir, dès ses premières phrases, que pour lui il ne peut pas y avoir d’amour parfait, ni d’amour qui mérite de figurer sur les degrés de son échelle sans qu’il ait quelque chose, voire beaucoup, d’infus ou de mystique. ❧
ARINTERIANA
Paris - France | 2024 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
« Vous qui êtes ici, dites un Pater à mon profit.
Pour moi ferez beaucoup et vous n’y perdrez mie. »
INFORMATIONS DIVERSES