L'ADOPTION DES FILS
Frères,
lorsqu’est venue la plénitude des temps,
Dieu a envoyé son Fils,
né d’une femme
et soumis à la loi de Moïse,
afin de racheter ceux qui étaient soumis à la Loi
et pour que nous soyons adoptés comme fils.
Et voici la preuve que vous êtes des fils :
Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs,
et cet Esprit crie
« Abba ! », c’est-à-dire : Père !
Ainsi tu n’es plus esclave, mais fils,
et puisque tu es fils, tu es aussi héritier :
c’est l’œuvre de Dieu.
(Saint Paul, Galates 4, 4-7)
Le texte qui suit est tiré de La evolución mística, BAC Madrid, 1968, pp. 81-84.
Nous sommes fils de Dieu par adoption, non par nature. Cette adoption n’est pas pour autant une fiction juridique. Elle est très réelle car il s’agit d’une certaine participation de la filiation éternelle elle-même. Dieu sait faire ce qu’il dit : ce qu’il dit est une œuvre et, en nous appelant fils, il fait que nous le soyons : « De même que par l’acte de la création la bonté divine est communiquée à toutes les créatures, selon une certaine similitude, de même par l’acte de l’adoption est communiqué aux hommes une similitude de la filiation naturelle » (Somme de théologie, III, q. 23 a. 1 ad 2).
Plusieurs traits distinguent cette adoption divine de toute autre adoption.
Le premier est sa réalité. En nous adoptant, dit le Docteur Angélique, Dieu nous rend aptes à jouir de son héritage éternel (Somme de théologie, III, q. 23 a.1). À cette fin, il nous fait renaître de son Esprit et passer ainsi de la simple vie naturelle à celle de la grâce, laquelle est germe de la gloire et véritable participation de la nature divine elle-même.
Le second est que l’adoption divine est plus spontanée, plus libérale et plus amoureuse. Les hommes adoptent parce qu’ils n’ont pas d’enfants en qui se complaire. Dieu, en revanche, trouvait en son Fils unique des délices et des complaisances infinies. Il avait ce Fils, si aimé, si aimable et si aimant que le terme de leur amour éternel est l’Amour personnel lui-même - la Charité de Dieu, l’Esprit d’Amour - lien de son amour infini. Et pourtant, pour que ces délices inépuisables se répandent également en nous, il a voulu nous communiquer ce même Esprit d’Amour comme gage de notre adoption réelle, et il nous aimés au point de nous donner son Fils unique pour que nous ayons en lui la vie éternelle (Jean 3,16).
Le troisième trait de cette adoption divine est d’être plus riche, plus précieuse et plus fructueuse qu’une adoption humaine. En effet, cette adoption nous rend cohéritiers du Christ lui-même (Romains, 8,17). Elle nous donne pleinement droit à son héritage, lequel n’est pas limité, misérable et périssable mais éternel et infini, car il s’agit du Royaume de Dieu lui-même ou, pour mieux dire, de Dieu lui-même : « Ta récompense sera grande » (Genèse, 15,1).
Tel est l’héritage des serviteurs du Seigneur : la pleine possession de ses richesses, de son bonheur et de son Esprit (Isaïe, 54,17 ; 55,16). Loin d’être réservé pour plus tard, cet héritage nous est donné dès à présent. Il nous est déjà permis d’en jouir, d’une certaine manière, dans ses prémices. Le Royaume de Dieu est au-dedans de nous ; il nous suffit de plonger au centre de nos âmes pour y trouver Dieu et ses infinies richesses. La source éternelle d’eau vive y jaillit, qui apaise toute soif terrestre. L’amoureux Consolateur y repose doucement, gage et arrhes de la vie sans fin. Une fois que nous l’aurons découvert, nous trouverons en lui tous les biens et recevrons de ses mains une richesse incalculable (Sagesse, 7,11). Nous serons ainsi remplis de grâce et de vérité, à la ressemblance de Jésus, notre Aîné et Modèle (Jean, 1,14).
Le quatrième trait de l’adoption divine est d’être à la fois plus générale et plus particulière que toute autre forme d’adoption. En présence d’un héritier légitime, l’adoption humaine ne peut pas intervenir sans qu’elle lui déplaise et lui porte préjudice parce qu’elle diminue son héritage et partage l’affection de son père. La charité du Fils de Dieu, en revanche, est telle que, loin de refuser des cohéritiers, il les a acquis au prix de son propre sang. Les richesses de sa gloire sont à ce point abondantes et inépuisables qu’au lieu de diminuer à la survenance de chaque nouvel héritier, elles paraissent s’accroitre d’être ainsi participées par un plus grand nombre. Lui-même, qui jouit pourtant d’un bonheur absolu dans le sein de son Père Éternel, reçoit comme un complément ou une redondance de joie dans le bonheur de ses frères, car ses délices sont d’être parmi les enfants des hommes (Proverbes 8,31). Ceux-ci, à leur tour, « s’enivrent » à ce point « de l’abondance de la maison paternelle, s’abreuvant au torrent des délices divines », que leur joie augmente à mesure qu’arrivent de nouveaux frères pour boire à « la source de vie et voir la Lumière dans la Lumière » (Ps. 36, 8-9).
Si les biens matériels diminuent et s’épuisent à être répartis, les biens spirituels, même en ce monde, s’accumulent plutôt et se complètent. Un bon maître ne perd rien à communiquer sa science toute entière à ses disciples. Bien au contraire.
Ce partage lui donne de l’éclat, augmente son prestige et son bonheur parce qu’il voit que ses disciples deviennent, par lui, de grands sages qui perpétuent sa renommée et font fructifier sa doctrine. Qu’en sera-t-il, dès lors, de biens spirituels qui sont infinis et éternels ? Le bonheur essentiel des saints est, comme le dit saint Bernard, de posséder Dieu, de le voir, d’être avec lui et de vivre avec lui - parce que là sont toutes leurs gloires et leurs richesses. Dès lors, chacun possédera d’autant plus ce bonheur, sans diminution, que seront plus nombreux les très aimables cohéritiers qu’il aimera comme soi-même, et qu’il les verra en jouir intégralement en union avec Dieu. En outre, tous verront en chacun d’eux, déifié et irradiant d’une lumière infinie, autant de miroirs très clairs dans lesquels se réfléchira vivement l’éternelle Beauté qui les tiendra en perpétuelle admiration. Elle les absorbera par le seul fait de la voir reflétée chacun en soi-même et de manières si variées chez les autres. Ainsi, cette ineffable joie, loin de diminuer, rejaillira de cœurs à cœurs, en interminables échos.
Voilà donc le grand mystère de notre déification par la grâce. Voilà comment « le plus grand des dons, selon le mot de saint Léon, est de pouvoir appeler Dieu en vérité par le doux nom de Père, et Jésus-Christ par celui de Frère » (Sermon 4, sur la nativité) !
En vertu de notre adoption se trouve rétablie ou réintégrée la lointaine image divine que nous avions par nature, et nous est communiquée, par la voie de la grâce, une nouvelle image, si fidèle que, en réalité, nous sommes déifiés et rendus comme de vivantes reproductions ou représentations du Dieu vivant, participant de sa nature même, de son Esprit et de sa vie divine. C’est ainsi que nous sommes ses fils véritables, et que nous pouvons en rigueur de terme être appelés des dieux : « Vous êtes des dieux, des fils du Très-Haut » (Ps. 81,6). Mais des dieux faits : Lui seul est le vivant et éternel Seigneur qui, étant Dieu par nature, peut faire de nous des dieux par participation [« Homines dixit deos, ex gratia sua deificatos, non de substantia sua natos » (s. Augustin, in Ps. 49 n°2). « Il est le Dieu déificateur, nous sommes les dieux déifiés ». Dieu, écrit un disciple de saint Anselme (Eadmer, de similit. c. 66), fait des dieux. Mais de telle sorte que lui seul est le Dieu déifiant, et nous, les dieux déifiés ». « Dieu, disait saint Augustin (Sermon 166) veut faire de toi un dieu : non par nature, comme son Fils, mais par grâce et adoption (…). Cesse donc d’être fils d’Adam. Revêts-toi de Jésus-Christ, et tu ne seras plus un homme, et cessant d’être un homme, tu ne seras plus non plus un menteur ». ❧
ARINTERIANA
Paris - France | 2024 | Tous droits réservés
Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
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