LE MAL ET L'ORDRE DE L'UNIVERS (5)
On nous objecte l’existence de tous ces animaux minuscules et imparfaits qui constituent les premiers échelons de l’échelle animale. Cependant, « cette échelle de perfectionnement, observe Janet, est précisément ce qui témoigne le plus en faveur d’une sagesse créatrice ; mais si les animaux sont inégaux en perfection, y a-t-il une seule espèce qui, prise en soi, n’ait précisément tout ce qu’il lui faut pour vivre ? (...) En quoi consisterait d’ailleurs cet animal parfait, qui serait, par hypothèse, la seule œuvre dans laquelle on reconnaîtrait la divinité ? Serait-il tellement parfait qu’il n’y en aurait pas au-delà un seul de possible ? Qui ne voit que cela est contradictoire d’une créature finie ? Et si l’on n’en pouvait concevoir de plus parfaits, ne pourrait-on pas toujours dire que celui qui aurait été créé, ne serait encore qu’une ébauche ? D’ailleurs comme l’a dit spirituellement Leibniz, “il ne faut pas que les tuyaux d’orgue soient égaux”. L’harmonie suppose les différences, et les différences ne vont guère sans l’inégalité. Une seule espèce d’animaux, si parfaite qu’elle soit, n’aura jamais la beauté ni la richesse de ce monde infini des espèces vivantes, qui animent l’univers. La reine des fleurs, la rose, serait elle-même moins belle, si elle était seule : il lui faut une cour, des soeurs moins brillantes et moins parées (...). Il faut que les eaux, les airs, la terre soient habités : il faut que tout ce qui puisse vivre, vive ; et qu’il n’y ait point de vide entre les formes des choses (non est vacuum formarum). La prodigalité de la nature n’est pas folie mais richesse, a dit un grand écrivain (G. Sand). La perfection absolue n’appartient pas au monde créé. Ce qui lui convient, c’est le perfectionnement, c’est l’accroissement indéfini ; et telle est la loi que suit la nature, c’est la plus digne du Créateur » (1).
Dans le plan grandiose de l’univers, tout a donc son utilité et sa place ; et ceux qui censurent une seule œuvre de Dieu ne font rien d’autre que de manifester leur présomption et leur ignorance, et de se rendre ridicules (2). Ainsi, les manichéens ne craignent pas de présenter l’existence des mouches comme une calamité, en ignorant qu’elles détruisent des quantités de matériaux en putréfaction, qui pourraient nous infecter.
Il est aujourd’hui à la mode de mettre en cause les microbes, comme s’ils étaient un mal gravissime, incapables d’être compensés par des biens plus grands. Cependant, si tous les êtres qui nous semblent dommageables ont leur importance dans l’économie de la nature, celle des microbes est capitale. Nous devons bien plus aux micro-organismes qu’aux autres êtres organiques la constitution géologique de notre globe ; il suffit de rappeler, pour l’établir, que la craie est constituée de leurs carapaces. Et les microbes actuels peuvent être considérés comme les principaux administrateurs de la vie organique. Sans eux s’accumuleraient en état indisponible, et en quantité énorme, les restes de matière organique que laissent les macrobes ; et comme les premiers matériaux indispensables à la vie sont limités, ils ne tarderaient pas à s’épuiser.
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(1) Paul Janet, Le matérialisme contemporain, Librairie Germer Baillières, 1875, pp. 149-150.
(2) « La philosophie pessimiste ne peut être traitée sérieusement. Quand elle est sincère, elle semble n’être qu’une forme du profond mécontentement qui nous fait éprouver la nature limitée de notre intelligence. On voudrait saisir le mécanisme du monde, et comme on ne le peut pas, on s’irrite et on le dénigre, ainsi qu’un sauvage naïf jette à terre, en faisant la moue, la boîte à musique dont il a vainement essayé de comprendre l’arrangement. On se vante d’être le maître de la création, et l’on doit se convaincre à chaque pas que le pouvoir dont on dispose ne va pas bien loin. Alors on conçoit de la mauvaise humeur, et l’on condense celle-ci en un système que l’on nomme pessimisme. L’enfant qui étend sa main vers la lune et commence à pleurnicher parce qu’il ne peut pas l’atteindre, est en son genre un pessimiste aussi, sans le savoir » (Max Nordau, Paradoxes psychologiques, Ed. Félix Arcan, Paris 1896, pp. 84-85).
ARINTERIANA
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Exposition en langue française de la vie et des œuvres du Père Juan González Arintero (1860-1928), restaurateur de la théologie mystique en Espagne, grand directeur d'âmes et apôtre de l'Amour Miséricordieux.
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